Lo Corbé et lo Rena – patois de Montalchez
Extrait du : “Le patois neuchâtelois” – 1894
par : Fritz CHABLOZ
Introduction
Le patois neuchâtelois est né du franco-provencal et sonne sensiblement comme de l’italien. Il a malheureusement quasiment disparu actuellement.
Essentiellement parlé et presque jamais écrit, il a cependant été utilisé par le passé par les officiers neuchâtelois au service de la France sous l’ancien régime pour correspondre avec leur famille car leur courrier était surveillé.
Comme tous les dialectes, le parler franco-provençal de Neuchâtel se distinguait légèrement d’un village, d’une vallée à l’autre, sans que cela pose de difficultés pour la compréhension mutuelle. Ce volume a été publié à Neuchâtel en 1895.
Glossaire des patois de la Suisse romande
Le projet de Glossaire des patois de la Suisse romande (GPSR), lancé en 1899 par trois linguistes suisses, semblait raisonnable: collecter pendant dix ans des mots dans toute la Suisse romande pour en faire un dictionnaire afin de les préserver de l’oubli. Plus de 125 ans plus tard, l’entreprise se poursuit et se diversifie pour profiter à toute la population.
Lo Corbé et lo Rena – patois de Montalchez
| Lo Corbé et lo Rena | Le Corbeau et le Renard |
| On Corbé s’avàê ague-lli Ao to fin couètsè d’on nohi. E portàve a son bè èna toma de tchivra Que pèzàve bin èna livra L’avàè cin robà pè Province, Et pouu s’avàè adjochàè dinse, Po rupà çu bon bocon, Sin ître vouu de tsacon. | Un Corbeau s’était perché Au tout fin haut d’un noyer. Il portait à son bec une tomme de chèvre Qui pesait bien une livre. Il avait ça volé par Provence Et puis s’était placé (si haut) ainsi, Pour dévorer ce bon morceau, Sans être vu de chacun. |
| Mà on villio Renà Qu’avàè tota la né ròdà sin rin trovà, Que n’avàè dza rin pu non-nà, Djaubye to la dràé in sa tite, D’agafà la pedance à çla tan pouèta bite: “Y’ai ena fan de la metsance, Cin me refaràè bin la panse.” | Mais un vieux Renard Qui avait toute la nuit rôdé sans rien trouver, Qui n’avait déjà rien pu souper (le soir avant) Projette sur-le-champ en sa tête De prendre adroitement le manger de cette si laide bête : “J’ai une faim diabolique (dit-il) Cela me referait bien le ventre.” |
| Fou dàè, fou fàè … Bouèle dinse à l’ozi : Hé ! bondzo ! … L’è tè ? m’n ami Que fà-te lé ? … Cin va, l’afére ? Que t’è adì grò bì ! … Te recinbye a to père. Çu brave ome, l’ètàè de Montaltsi, (On le vàè prau), matenàè de Gordzi ! E tsantave tan bin ! … Subye vàè çta tsanson Que te desai demar, in croquan dàè biésson Avoui ta bala voua, te la sà tan bin dere ! Ne bailleràè pa quatro pere De tu çàè braillar qu’on ci où Et que n’fan que raissi to le dzo pè le boù | Ce fut dit, ce fut fait … Il crie ainsi à l’oiseau : Hé ! bonjour ! … C’est toi ? mon ami. Que fais-tu là ?… Cela va, l’affaire ? (la santé) Que tu es toujours magnifique ! … Tu ressemble à ton père. Ce brave homme, il était de Montalchez, (On le voit assez) croisé de Gorgier! Il chantait si bien !… Siffle voir cette chanson Que tu disais mardi, en croquant des poires. Avec ta belle voix, tu la sais tant bien dire ! Je ne donnerais pas quatre poires De tous ces criards qu’on entend ici Et qui ne font que scier tout le jour par les bois |
| Lo Corbé, qu’avàè prau d’orgoù, L’akioute comin on bon foù : El euvre lo bé po tsantà. Mà la toma tchè to ba, Et lo Renà ne la loque pà. Quan s’è foù relètsi, qu’e l’où tot avaläye, E fà ‘na bouèn’ écouazeläye, In bouèlan ao Corbé : “Akioute, m’n ami, Foilliàè, in to premi, mindzi La toma que t’avà, et pouu tsantà apri” | Le corbeau qui avait suffisamment d’orgueil, L’écoute comme un bon benêt : Il ouvre le bec pour chanter. Mais la tomme tombe à terre, Et le Renard ne la manque pas. Quand il se fut reléché, qu’il l’eut toute avalée, Il pousse un grand éclat de rire, En criant au corbeau: “Ecoute, mon ami Il fallait, en tout premier, manger La tomme que tu avais, et puis chanter après. |
Commentaire
Cette histoire en patois de Montalchez est une traduction et contextualisation issue des célèbres fables de La Fontaine, comme il en a existé dans beaucoup de régions franco-provençales après leurs publications entre 1668 et 1694.
A relever que les fables mises en vers par La Fontaine ont été inspirées par des textes plus anciens d’écrivains grecs (Ésope, Babrius et Phèdre). Textes qui mettent déjà en scène des animaux et contiennent une morale, dont les origines proviennent d’une tradition orale.
Le Corbeau et le Renard par Ésope (6e siècle av. J.-C.)
Traduction par Émile Chambry – Fables, Société d’édition « Les Belles Lettres », 1927
Un corbeau, ayant volé un morceau de viande, s’était perché sur un arbre. Un renard l’aperçut, et, voulant se rendre maître de la viande, se posta devant lui et loua ses proportions élégantes et sa beauté, ajoutant que nul n’était mieux fait que lui pour être le roi des oiseaux, et qu’il le serait devenu sûrement, s’il avait de la voix. Le corbeau, voulant lui montrer que la voix non plus ne lui manquait pas, lâcha la viande et poussa de grands cris. Le renard se précipita et, saisissant le morceau, dit : « Ô corbeau, si tu avais aussi du jugement, il ne te manquerait rien pour devenir le roi des oiseaux. »
Cette fable est une leçon pour les sots.

Organisation: Webmaster AV et ASLB
Site : https://books.google.ch/books?id=Jye0YgelzcIC&hl=fr&pg=PP1#v=onepage&q&f=false